L’état actuel de la formation technique au Sénégal et en Afrique
La formation technique et professionnelle est un pilier crucial pour valoriser le dividende démographique de l’Afrique, mais elle accuse un important retard. En Afrique subsaharienne, les 15-24 ans représentent environ 20 % de la population totale, tout en constituant plus de 40 % des personnes au chômage (En Afrique, la transformation de la formation professionnelle est en marche | Institut international de planification de l’éducation). Au Sénégal, près de 300 000 jeunes arrivent chaque année sur le marché du travail, mais les entreprises – notamment dans les secteurs émergents – peinent à recruter une main-d’œuvre qualifiée correspondant à leurs besoins (Advancing TVET reforms for better employment in Senegal – giz.de). Ce paradoxe souligne l’insuffisance de la formation technique actuelle face aux exigences du marché de l’emploi moderne.
Des infrastructures éducatives insuffisantes et un accès limité aux technologies
Malgré des progrès, l’accès à la formation professionnelle reste très faible. Seuls 25 % des jeunes entrant sur le marché du travail au Sénégal peuvent bénéficier d’une formation professionnelle ou technique, faute de places disponibles (LuxDev – SEN/032). À l’échelle du continent, la proportion de lycéens inscrits en filière technique est souvent dérisoire (parfois moins de 5 %). Au Sénégal, selon le recensement de 2023, seulement 10,7 % des hommes et 7,3 % des femmes ont suivi une formation professionnelle à un moment de leur parcours (Révélation RGPH 2023, Formation professionnelle au Sénégal). Ces chiffres traduisent un retard important dans l’orientation des élèves vers les filières techniques, souvent perçues comme moins attractives.
Cette faiblesse de l’accès s’explique en partie par des infrastructures éducatives inadéquates. Le nombre de centres de formation professionnelle et de lycées techniques est insuffisant pour absorber tous les candidats, et beaucoup d’établissements existants fonctionnent avec des équipements obsolètes. Dans plusieurs pays d’Afrique, de nombreux établissements scolaires ne disposent même pas des services de base nécessaires pour intégrer les nouvelles technologies dans l’enseignement. Par exemple, moins de 60 % des lycées d’Afrique subsaharienne sont raccordés à l’électricité, et à peine 25 à 50 % disposent d’ordinateurs en état de marche ([PDF] 750 millions – d’adultes sont encore illettrés). Ce manque d’équipement moderne et de connectivité freine considérablement l’apprentissage pratique des compétences numériques et techniques.
En conséquence, l’usage des outils numériques dans la formation technique reste embryonnaire dans la plupart des pays africains. L’intégration des TIC (technologies de l’information et de la communication) dans l’éducation est encore faible au Sénégal, d’après le diagnostic du gouvernement (EDUCATION ET FORMATION, LE SENEGAL AMORCE UNE DYNAMIQUE | SenePlus). De manière générale, « l’utilisation des technologies numériques est encore, en Afrique, à ses balbutiements », selon un rapport de l’UNESCO (Transformation digitale de l’EFTP et des systèmes de …). Dans les ateliers et salles de classe, cela se traduit par un enseignement trop théorique, déconnecté des évolutions technologiques rapides du monde professionnel.
Des équipements pédagogiques en retard de modernisation
Un autre défi majeur tient au retard dans le renouvellement des équipements pédagogiques. De nombreux centres de formation technique en Afrique utilisent du matériel vieillissant, peu adapté aux technologies actuelles. Les filières industrielles ou technologiques souffrent souvent d’un manque de machines modernes, de simulateurs ou de laboratoires équipés. Par exemple, le principal centre technique du Sénégal, le CFPT Sénégal-Japon (créé il y a plusieurs décennies avec l’aide du Japon), n’a pu récemment moderniser ses ateliers que grâce à un don étranger. En août 2023, le Japon a octroyé pour 2,475 milliards de francs CFA d’équipements de pointe et de matériel pédagogique au CFPT Sénégal-Japon, afin de mettre à niveau les formations dispensées (Le Japon offre des équipements au centre de formation technique Sénégal-Japon (ambassade) – Obs Insdustrie). Cette dotation en « technologies de pointe » vise à améliorer la qualité de l’enseignement et à mieux préparer les apprenants aux défis du monde professionnel actuel (Le Japon offre des équipements au centre de formation technique Sénégal-Japon (ambassade) – Obs Insdustrie).
Cet exemple illustre un phénomène généralisé : sans investissement massif, les centres de formation technique peinent à suivre le rythme des innovations. Qu’il s’agisse de machines-outils à commande numérique, de matériels électriques aux normes récentes, ou d’ordinateurs performants pour les formations en informatique, les équipements disponibles sont souvent en décalage avec ceux utilisés en entreprise. Ce retard technologique réduit l’efficacité des formations et limite l’exposition des étudiants aux pratiques contemporaines. En outre, l’entretien et la maintenance des rares équipements disponibles sont parfois négligés faute de budget, entraînant une dégradation progressive du parc matériel.
Des conséquences sur l’emploi et l’innovation
Les faiblesses de la formation technique ont un impact direct sur l’emploi des jeunes et sur le dynamisme économique. Tout d’abord, le manque de compétences pratiques et actualisées aggrave le chômage des diplômés. Beaucoup de jeunes sortant du système éducatif (général ou technique) ne maîtrisent pas suffisamment les outils ou savoir-faire attendus par les employeurs, ce qui complique leur insertion professionnelle. Au Sénégal, on observe un décalage important entre les programmes enseignés et les besoins des entreprises aussi bien formelles qu’informelles (LuxDev – SEN/032). Ce désalignement contribue à un taux de chômage élevé même parmi les jeunes formés, et oblige parfois les entreprises à investir elles-mêmes dans la remise à niveau de leurs recrues – quand elles ne renoncent pas purement et simplement à recruter localement pour certains postes techniques.
Par ailleurs, ce retard de compétences freine l’innovation et la compétitivité. Faute de techniciens qualifiés en nombre suffisant, des secteurs porteurs comme l’agro-industrie, les énergies renouvelables, le numérique ou la maintenance industrielle peinent à se développer pleinement. Les entreprises innovantes peuvent éprouver des difficultés à trouver localement les profils techniques nécessaires (programmation, mécanique de précision, électronique, etc.), ce qui les contraint parfois à faire appel à de la main-d’œuvre étrangère ou à limiter leurs ambitions. De plus, le faible niveau d’appropriation des nouvelles technologies par une grande partie de la jeunesse africaine empêche celle-ci de contribuer pleinement à la transformation digitale et industrielle du continent. En somme, chaque année de retard dans la modernisation de la formation technique se traduit par autant d’opportunités manquées en termes de création d’emplois qualifiés et de croissance inclusive.
Vers une modernisation progressive : initiatives en cours
Conscientes de ces enjeux, les autorités et partenaires au développement ont amorcé diverses initiatives pour moderniser la formation technique au Sénégal et en Afrique. Sur le plan national, le gouvernement sénégalais a inscrit dans sa Stratégie de développement 2025–2029 plusieurs engagements forts pour refondre le système d’enseignement technique et professionnel (EDUCATION ET FORMATION, LE SENEGAL AMORCE UNE DYNAMIQUE | SenePlus) (EDUCATION ET FORMATION, LE SENEGAL AMORCE UNE DYNAMIQUE | SenePlus). Il prévoit notamment de réorienter 30 % des élèves issus du cycle fondamental vers les filières professionnelles et techniques, en repensant les curriculums selon l’approche par compétences et en développant l’apprentissage en alternance (EDUCATION ET FORMATION, LE SENEGAL AMORCE UNE DYNAMIQUE | SenePlus). Cet objectif ambitieux, en rupture avec la situation actuelle, traduit la volonté d’accroître significativement le vivier de jeunes formés aux métiers manuels, industriels et technologiques.
Plusieurs projets concrets accompagnent cette vision. Avec l’appui de partenaires étrangers, de nouveaux centres de formation voient le jour, mieux équipés et tournés vers les métiers d’avenir. Par exemple, un Centre de référence dans les métiers du numérique est en construction à Diamniadio (près de Dakar) et doit ouvrir ses portes d’ici fin 2025 (LuxDev – SEN/032). Ce complexe ultra-moderne, fruit d’une coopération entre le Sénégal et le Luxembourg, sera entièrement dédié aux formations dans les domaines du numérique (cybersécurité, développement d’applications mobiles, etc.) (LuxDev – SEN/032). Il offrira des cursus diplomants ainsi que des formations courtes, en partenariat étroit avec des entreprises, afin de coller aux besoins du marché. De même, le partenariat avec le secteur privé s’intensifie : l’Orange Digital Center de Dakar, lancé par l’opérateur télécom Sonatel, propose des formations gratuites en codage, en plus d’incubateurs de startups, pour favoriser l’employabilité des jeunes dans le numérique (LuxDev – SEN/032). Ces initiatives contribuent à combler le fossé technologique en exposant les apprenants aux outils actuels et en formant des formateurs aux pédagogies actives et numériques (LuxDev – SEN/032).
Au-delà du Sénégal, d’autres pays africains ont entrepris des réformes novatrices. Les huit États de l’UEMOA mutualisent désormais une partie de leurs ressources pédagogiques en EFTP, partageant programmes et contenus via une plateforme régionale soutenue par l’UNESCO (En Afrique, la transformation de la formation professionnelle est en marche | Institut international de planification de l’éducation) (En Afrique, la transformation de la formation professionnelle est en marche | Institut international de planification de l’éducation). L’objectif est d’accélérer la rénovation des filières en s’inspirant des bonnes pratiques entre pays voisins (par exemple, un référentiel de formation de technicien en énergie solaire élaboré au Bénin peut servir de modèle au Sénégal ou au Mali) (En Afrique, la transformation de la formation professionnelle est en marche | Institut international de planification de l’éducation). L’Union africaine, de son côté, a adopté une Stratégie continentale de l’EFTP encourageant chaque État à intégrer davantage la formation technique dans son système éducatif (Expanding Access To Quality Technical And Vocational Education And Training In Africa: Lessons From Benin | AUDA-NEPAD). Certains ont déjà pris de l’avance : le Bénin a construit 90 lycées techniques en quelques années et compte multiplier par sept le nombre d’élèves du secondaire en filière professionnelle (de 27 000 en 2018 à 200 000 en 2025) (Expanding Access To Quality Technical And Vocational Education And Training In Africa: Lessons From Benin | AUDA-NEPAD). De même, des pays comme l’Éthiopie ont fait le choix audacieux d’orienter la majorité des élèves vers l’enseignement technique après le cycle inférieur du secondaire – environ 65 à 70 % des lycéens éthiopiens choisissent aujourd’hui la filière EFTP à la fin de la classe de seconde (Former les enseignants d’EFTP afin de relever le niveau de qualité dans le développement des compétences techniques et professionnelles | AUDA-NEPAD). Ces exemples prouvent qu’une montée en puissance rapide de la formation technique est possible avec une volonté politique forte et un investissement soutenu.
Quelles solutions pour rattraper le retard ?
Face à ces constats, plusieurs propositions concrètes émergent pour améliorer la situation de la formation technique au Sénégal et en Afrique :
- Investir dans les infrastructures et l’équipement : Augmenter le nombre de centres de formation professionnelle, notamment en zone rurale, et réhabiliter ceux existants. Il est impératif de doter ces établissements d’une électricité fiable, d’un accès à Internet et de matériel moderne (ateliers de mécanique, laboratoires informatiques, outils industriels actuels). Des partenariats public-privé ou des financements internationaux peuvent appuyer l’acquisition d’équipements à la hauteur des standards technologiques (Le Japon offre des équipements au centre de formation technique Sénégal-Japon (ambassade) – Obs Insdustrie).
- Aligner les programmes sur les besoins du marché : Mettre à jour les curriculums en intégrant les nouvelles technologies (robotique, fabrication numérique, énergies vertes, etc.) et en adoptant l’approche par compétences. Impliquer les entreprises dans l’élaboration des programmes et dans l’offre de stages ou d’apprentissage afin que la formation colle aux réalités du terrain (LuxDev – SEN/032). Des conseils consultatifs incluant employeurs et formateurs peuvent aider à ajuster régulièrement le contenu des filières.
- Renforcer la formation des formateurs : Améliorer le recrutement et la formation continue des enseignants en filière technique. Des instituts spécialisés – à l’image de l’Institut fédéral d’EFTP en Éthiopie – peuvent être créés pour former des maîtres d’atelier et professeurs hautement qualifiés (Former les enseignants d’EFTP afin de relever le niveau de qualité dans le développement des compétences techniques et professionnelles | AUDA-NEPAD). Il s’agit également de former les formateurs eux-mêmes aux outils numériques et aux pédagogies innovantes, afin qu’ils diffusent ces compétences aux apprenants.
- Valoriser l’enseignement technique auprès des jeunes : Mener des campagnes de sensibilisation pour changer l’image parfois négative de la filière professionnelle. Promouvoir les success stories d’artisans, de techniciens ou d’ingénieurs africains ayant réussi grâce à ces formations. Inciter davantage de filles à s’inscrire dans les filières techniques, en offrant par exemple des bourses ou des mesures d’accompagnement, afin de réduire les disparités de genre constatées (Révélation RGPH 2023, Formation professionnelle au Sénégal).
- Encourager l’alternance et l’entrepreneuriat : Développer les formations en alternance (apprentissage en entreprise) pour donner aux jeunes une expérience pratique directe sur des équipements modernes. Parallèlement, intégrer des modules d’entrepreneuriat et de gestion de projet dans les cursus techniques pour que les diplômés puissent, le cas échéant, créer leur propre activité. Des fonds de soutien ou incubateurs pourraient cibler les jeunes issus de la formation technique pour les aider à lancer des startups innovantes dans l’artisanat, l’agrotech, le numérique, etc.
En résumé, la transformation de la formation technique est un impératif pour le Sénégal et l’Afrique, si le continent veut tirer pleinement profit de sa jeunesse et des opportunités économiques à venir. Les défis – qu’il s’agisse du manque d’accès aux nouvelles technologies, de l’insuffisance d’infrastructures ou de l’inadéquation des programmes – sont certes nombreux, mais pas insurmontables. Les réformes engagées ici et là montrent la voie : en investissant dans du matériel adéquat, en modernisant les approches pédagogiques et en impliquant tous les acteurs (État, secteur privé, partenaires internationaux, communautés locales), il est possible de rattraper le retard. À terme, une formation technique renforcée contribuera à réduire le chômage des jeunes, à stimuler l’innovation locale et à bâtir une économie plus compétitive et résiliente sur le continent africain. Les prochaines années seront décisives pour ancrer ces changements et faire de l’enseignement technique un véritable levier de développement en Afrique.
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